La piscine du Belvédère

La Piscine du Belvédère ou l'art urbain ressuscité

Octobre 2024 Zoubeir Mouhli 10 min de lecture

Article rédigé par Mr Zoubeir Mouhli Architecte urbaniste prix Aga Khan d'architecture 2010
Tiré du magazine d'architecture tunisien Archibat

Après des décennies d'abandon, la piscine du Belvédère, une œuvre architecturale Art déco méconnue de la ville de Tunis, renaît grâce à un important projet de réhabilitation dirigé par le génie militaire et une équipe d'architectes et d'experts. Elle retrouve son éclat d'origine, s'inscrivant dans la valorisation du patrimoine architectural tunisien.
Plus de 400 édifices de facture Art déco tronent sur les abords de rues et avenues de la ville de Tunis. L'un des plus remarquables est, certainement, la piscine municipale lovée dans un coin du parc du Belvédère et entourée d'eucalyptus, de palmiers, oliviers et autres pins d'Alep.
C'est autour des années 30 que cette piscine est construite, à la même époque où sont édifiés à Paris la piscine Molitor, la piscine de Panisse, la piscine Pailleron ou la piscine des Amiraux, toutes de style Art déco.
Le projet sollicité avec insistance par la Fédération Tunisienne de Natation de l'époque, de réaliser un « bassin de natation », à l'instar du stade du Belvédère et autres équipements sportifs édifiés dans la ville, passait devant le conseil municipal pour approbation, le 31 mai 1932.

La piscine municipale ouvrit ses portes au public le printemps suivant, sur des terrains de tennis transférés ailleurs.
Les membres du conseil ne devaient pas soupçonner que cette piscine allait, presque un siècle plus tard, retrouver une véritable jeunesse et être ressuscitée à la suite d'une période maussade de sa vie, caractérisée par l'abandon et l'oubli.
L'édifice centenaire, laissé à son sort durant de longues décennies bien qu'il fût, pour longtemps, un lieu convivial de rencontre pour les habitants de Tunis, occupe un emplacement très recherché au cœur de la ville. Il surplombe le jardin de la place Pasteur, l'un des plus beaux quartiers de la capitale, ce qui devait aviver les convoitises et attirer les cupidités. Le voilà, aujourd'hui, qui renaît de ses cendres, grâce à une ferme volonté politique, une expertise affirmée du patrimoine et une vraie compétence technique. La piscine peut désormais se targuer d'être un monument de la Capitale bien qu'on ne l'ait jamais regardée comme une œuvre architecturale majeure. Ce que, pourtant, elle est. Un patrimoine qui renaît pour le public Sa réhabilitation achevée en octobre 2024, peut être vue comme une contribution aux tentatives de sauvegarde et de réhabilitation physique et morale de ce legs des XIXe et XXe siècles dont regorge la Tunisie.

La piscine du Belvédère renaît de ses cendres, transformant un lieu abandonné en un monument précieux de la capitale tunisienne.

Le départ du projet fut un concours lancé par la Municipalité de Tunis au mois de mai 2022 qui n'a pu voir le jour à cause de problèmes variés. Il a, enfin, été relancé après la visite de la piscine, le 15 février 2024 du Président de la République qui charge le génie militaire de la bonne exécution d'un projet de réhabilitation dans un délai ne devant pas dépasser les 6 mois.
Confié aux lauréats du concours municipal pour le dossier d'exécution, l'adaptation aux nouvelles exigences et le suivi des travaux, le projet se fixe pour mission de raviver la mémoire des lieux et de restaurer une image urbaine, ce qui constituait déjà un défi en soi. Il se devait d'adapter la piscine aux normes nécessaires de sécurité et d'hygiène ainsi qu'aux nouvelles normes des équipements sportifs publics. Ces adaptations, devant être exécutées de manière judicieuse, ne causant aucune défiguration à l'édifice et devaient assurer le bon fonctionnement de la piscine dans le respect des standards connus.
Le projet s'est donc basé, essentiellement, sur un ensemble d'interventions respectueuses de l'aspect architectural et historique général des lieux et de ce, malgré l'état de délabrement très avancé dans lequel se trouvait le site. Ces interventions ont concerné toutes les composantes de la piscine : bâtiments construits, tours et pergolas, grand bassin et pataugeoire, gradins, vestiaires et dépendances, terrain de tennis, locaux techniques et jardin.

Une adaptation aux normes modernes d'un édificitaire centenaire Les études, ont nécessité des relevés architecturaux minutieux, un scanner 3D et le recours à la photogrammétrie et le nuage de points pour la restitution fidèle quand c'était nécessaire. Avant d'attaquer les travaux, il a fallu également effectuer un inventaire de tous les éléments d'intérêt architectural ou historique se trouvant sur site, les classer dans une certaine de fiches et les accompagner d'échantillons représentatifs pouvant servir à leur reproduction.
Ainsi, les bâtiments existants encadrant les gradins, malgré leur structure très dégradée, devaient rester authentiques dans leur élégance Art déco et l'éclat de la couleur blanche dominante. Les résultats des analyses effectuées dans un laboratoire technique sur la résistance des structures et la composition de leurs matériaux, préconisaient leur démolition et reprise. Il a été plutôt décidé de consolider les façades à partir de l'intérieur en les accrochant à un voile de béton et en renforçant les fondations. Les dalles ont été, également, reprises et ces bâtiments ont retrouvé leurs fonctions d'origine (administration, accueil/réception, vestiaires, buvette) ainsi que leurs éléments décoratifs, allant jusqu'à retrouver leurs anciens faux-plafonds.
Ce souci de sauvegarde tous les éléments architecturaux qui pouvaient l'être, de pousser à accrocher le château d'eau au-dessus de l'accueil et de le déplacer ailleurs le temps de couleur une nouvelle dalle et de le remettre à son emplacement d'origine, ancré dans des encuvements préparés à cet effet.
Les gradins pouvant accueillir 700 places assises, leur état de dégradation étant avancé, ont vu leur structure entièrement reprise et conçue en éléments préfabriqués. Les normes de sécurité ont y été actualisées. Un escalier de secours à 2 unités de passage y a été adjoint sur le côté arrière donnant sur la rue de la Ligue Arabe.


Tous les garde-corps, bien que gardant l'aspect des anciens, ont été repris selon la charge d'exploitation et les normes de sécurité sans altérer l'esthétique générale.
Sous ces gradins se trouvent les vestiaires et les dépendances. Le nombre de cabines individuelles, casiers, douches et sanitaires pour les deux sexes a été calculé selon les normes actuelles et sur la base de l'effectif que pourrait accueillir la piscine.
La fonctionnalité du projet a été entièrement repensée selon les normes de la marche en avant évitant, désormais, le croisement pieds nus/ pieds chaussés.
Deux entrées ont été aménagées côté rue de la Ligue Arabe, une pour les nageurs et une pour les cérémonies et tennis. Le calage du projet a été adapté aux normes pour permettre un accès à la totalité du site aux personnes à mobilité réduite (PMR). Cabines, douches et toilettes ainsi que des rampes adaptées aux PMR, ont été également prévues.
Le grand bassin souffrant d'une fuite d'eau et manquant d'une centrale de filtration, n'était doté que d'un petit local technique.

La piscine est désormais chauffée. La profondeur de l'eau qui y variait de 0,80 m à 4 m, est ramenée, pour des raisons de sécurité, à une variation de 0,90 m à 2,10 m, adoptant le principe de la « boîte dans la boîte ».
Le nouveau local technique y attenant est enterré sous l'esplanade adjacente et couvre une surface équivalente à celle du grand bassin. Il est équipé de 6 filtres pour la piscine et 2 filtres pour la pataugeoire qui a été reprise entièrement. Le nouveau revêtement en marbre blanc utilisé pour la piscine et l'esplanade, imprécis de Carrare, est extrait de la même carrière qui avait fourni le marbre d'origine et mis en œuvre selon la logique du calepinage ancien. Un écrin de verdure au cœur de la ville
Un traitement soigné a été réservé, au niveau de l'entrée principale, aux deux tours visibles de loin et éclairées par lumière de mise en valeur. Le même soin a été apporté aux pergolas en bois naturel qui les relient, pour recréer l'ambiance chatoyante provoquée par l'allée ombragée grâce aux bougainvillées grimpants, rouges, blancs et saumon. Ces bougainvillées égayent également le kiosque à colonnes se trouvant dans la perspective de la pataugeoire. La clôture, donnant sur la Place Pasteur, est également restituée grâce à des archives et documents anciens.

Le jardin comportant une palette de plantes et de textures à effet agréable, a été peaufiné en recourant à une alliance avec un paysagiste qui a su remettre en valeur l'écrin vert dans lequel est lovée la piscine. Eucalyptus, oliviers et pins d'Alep étouffés par des pins parasols, ont accueilli un éclairage étudié de mise en valeur. L'eugenia est utilisé pour les haies protégeant l'intimité des lieux. La perfection des détails, la précision des lignes et l'élégance du jardin produisent une impression apaisante et font oublier le bruit des voitures des rues environnantes.
Une intervention inspirante pour la sauvegarde du patrimoine architectural récent
Ce travail de remise en valeur selon les règles de l'art, basé sur une étude minutieuse et profitant d'une bonne expertise en patrimoine, aspire à ajouter une pierre à l'édifice de la valorisation du patrimoine récent en Tunisie et à contribuer à rehausser l'image de la Capitale. Sur ce site exceptionnel, des bataillons de constructeurs et d'artisans se sont employés, jour et nuit, à rendre réels les dessins des concepteurs, dans le degré de finition demandée et les délais impartis. Les travaux menés tambour battant, prient en tout six mois, en comptant les pauses consacrées aux fêtes et les horaires d'été. La réhabilitation de la place Pasteur a complété l'image urbaine ressuscitée. Le résultat est bluffant ! Un rayon de soleil et y a aura, dorénavant, aussitôt envie d'aller piquer une tête à la piscine du Belvédère.
Reste le souci d'une meilleure exploitation de cet équipement sportif. Une optimisation de ses capacités permettra une exploitation durant toute l'année, indépendamment des facteurs climatiques. Une exploitation permanente durant l'année, permettra de protéger la piscine des dégradations engendres par certaines variations climatiques ou d'une fermeture prolongée en dehors de la saison estivale. Elle garantira, en outre, la pérennité d'un personnel de gestion et d'entretien. Les solutions sont possibles.